Ode à un aigle

Aujourd’hui, j’ai perdu un collègue, un rival, un mentor, un complice, un passionné de ski, mais surtout un homme qui est devenu un ami pour la vie. Voici notre histoire…

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Je me souviendrai longtemps de ce repas, dans un hôtel de Québec. Il était tard, mon patron et moi avions eu une longue journée de travail. Lui, c’était un bon vivant, un épicurien, un passionné de ski, et il était totalement dévoué à son travail. La formule work hard, play hard est sa devise depuis toujours. Nous avions déjà enfilé plusieurs bouteilles de vin et nous terminions la soirée avec une belle assiette de fromages. Cette soirée fut LA soirée où deux aigles ont fait la paix, où nous avons pris la décision mutuelle de nous respecter en tant qu’AIGLE à part entière. Nous avons trinqué à la vie, au futur et au plaisir d’être en vie.

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Il était plus âgé que moi et notre relation a débuté dans le tumulte. Moi, le jeune loup qui voulait faire mes preuves, et lui, l’homme expérimenté qui les avait faites et qui voulait prouver sa valeur à un employeur toujours plus exigeant. Nous nous sommes retrouvés dans la même boîte, avec un statut ambigu et inconfortable tant de son côté que du mien… Il ne m’avait pas choisi et je ne l’avais pas choisi non plus. On m’avait en quelque sorte imposé à lui, qui avait une personnalité forte et des convictions profondes, tandis que moi, j’étais tout aussi convaincu, mais pas toujours des mêmes choses.

Les affrontements étaient épiques, et souvent, très souvent, nous nous sommes écorché les ailes comme le font deux aigles qui volent dans une volière trop petite pour deux. La bataille n’était pas toujours belle à voir pour les non-initiés à nos discussions musclées. Les mots, directs et indirects, les renfrognements, les messages incendiaires et inutiles, étaient nombreux. Les malversations volontaires ou involontaires faisaient de nous des rivaux…

Lorsque la pression devenait trop forte, il désamorçait toujours la situation avec un rire bien senti, qui venait du fond du cœur. Il savait me laisser, moi le jeune loup, l’illusion de la victoire tout en me faisant bien comprendre qu’il n’en était rien. Mais je savais que la bataille n’était pas finie. Ce rire annonçait simplement la fin d’un round de boxe et je savais que le match allait continuer plus tard, sur d’autres sujets, dans d’autres arènes.

Avec le temps, et surtout après cette soirée de paix, nous avons bâti une complicité digne des grands moments, une complicité vraiment puissante. Lorsque nous trouvions une bataille où l’objectif était commun, nous devenions les deux meilleurs guerriers du monde. Stratège des grands moments, fondamentalement pragmatique et dévoué au travail sur le terrain, il réfléchissait et agissait. Seul le résultat comptait. Moi, je lui apportais la confiance, l’innovation, le dépassement de soi, le goût d’aller plus loin. Cette complicité nous a menés à de très belles victoires, qui m’ont permis d’exposer des trophées dans mon hall of fame psychologique – cette allée de fierté dont je me nourris encore aujourd’hui.

Il était un passionné de ski et il l’enseignait tous les hivers avec la même passion qui l’animait. Il enseignait et suivait les jeunes qui avaient 10, 20 ou même 30 ans de moins que lui. Il s’entraînait tout l’hiver pour atteindre le niveau de ces bombes volantes sur les pistes, pour être en mesure de prouver une fois de plus qu’il avait sa place sur la montagne, qu’il était le ROI de cette montagne.

Mais, tout comme deux aigles, notre volière et nos cieux étaient toujours un peu trop petits. Donc, l’un de nous devait nécessairement se rétracter, non sans une certaine tristesse. Puis un jour, le ciel s’est ouvert pour moi. J’ai décidé d’ouvrir un peu plus mes ailes et de m’envoler vers d’autres cieux.

Mais lui est resté. Fondamentalement loyal, il était persuadé que sa mission n’était pas finie dans cet environnement, qu’il avait d’autres batailles à gagner, d’autres luttes à poursuivre. Moi, j’avais fini… Ces batailles ne m’intéressaient plus. Donc, je suis parti en laissant mon complice mener ses batailles.

Il a continué ses batailles, il en a gagné, il en a perdu… Il a toujours gardé cet humour et sa passion du ski. Au cours de sept dernières années, nous sommes restés en contact tous les six mois, en échangeant comme dans le bon vieux temps. Nous parlions de projets, de stratégie, de vente, de développement commercial, de politique intérieure et extérieure. Nous pouvions en avoir pour une bonne heure de complicité retrouvée. J’avais trouvé mon ciel et nous discutions d’égal à égal, d’aigle à aigle, pour nous permettre tous les deux d’aller plus haut. Souvent, je lui ai offert de rejoindre mon ciel, et toujours, il a refusé poliment en disant qu’il n’avait pas encore fini, qu’il avait encore du travail à faire, qu’il devait « entraîner des aiglons à voler ». Nous nous sommes dit que nous allions continuer à échanger, ne serait-ce que pour le plaisir de l’âme.

Malheureusement, il est parti subitement il y a quelques jours. L’aigle a quitté son ciel, il a rejoint ses ancêtres.

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Ce que je retiens de cette histoire, c’est qu’au-delà de l’homme, je vais me souvenir de cet aigle qui ne laissait jamais la place à la médisance, à la médiocrité et à l’erreur, de cet homme exigeant tant pour lui que pour les autres. Mais surtout, je n’oublierai jamais que nous avons appris à vivre ensemble, à nous respecter et à nous apprécier. Que malgré nos fortes personnalités et notre rivalité, nous avons réussi à « voler ensemble dans le firmament ».

Si je n’avais qu’une suggestion à faire, ce serait celle-ci :

Si, dans votre environnement personnel ou professionnel, vous êtes un aigle et qu’autour de vous un autre aigle patrouille dans le même ciel, appréciez-le et apprenez à vivre ensemble. Assoyez-vous et discutez franchement de la situation. Expliquez ce qui vous fait de l’ombre et prenez le temps de vous respecter. Lorsque la situation l’impose, baissez la tête dignement, en vous disant que la prochaine fois, ce sera votre tour. Faites-le dans le respect de chacun, pour le futur collectif. Combattre un aigle est et sera toujours une perte d’énergie pour le greater good de votre entreprise.
Si cet aigle est plus jeune que vous, laissez-le s’élever dans le respect.
Si l’aigle est plus vieux que vous, laissez-le aussi s’élever dans le respect.
Si l’aigle est de votre âge, élevez-vous ensemble dans le respect.

Mais n’oubliez jamais qu’un aigle est un aigle et qu’il le restera toujours!

Et qu’une bouteille de vin sera toujours un bon moyen d’ouvrir la discussion!

Farewell, André, we’ll miss you!

 

5 commentaires Ajoutez le votre

  1. Dominic dit :

    Moi aussi j’ai connu cet aigle… Un aigle qui était prêt à tout faire pour arriver à ses fins. Un aigle combatif avec beaucoup de joie de vivre. Un aigle avec qui il était plaisant de travailler et d’échanger sur divers sujet. Un aigle qui prennait un plaisir fou a partager son savoir. Un aigle qui aimait la perfection. Un aigle qui me manquera…

    Je suis convaicu qu’il veillera sur ses aiglons…

    Farewell will miss you…

  2. Luc Godard dit :

    Merci, Stéphane pour cette ode à notre ami,
    André va nous manquer.
    Luc

  3. cindy dit :

    Très beau texte, c’est intéressant de voir comment d’autre personne percoivent André. J’aime bien l’image de l’aigle!!!!

  4. Michou dit :

    Merci! J’ai affaire à un aigle moi-même, je vais suivre vos conseils…

  5. Merci et avec plaisir. Bonne chance et envolez vous par les nuages avec lui.
    ciao ciao

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